Contrairement à ce que laisse
entendre le titre, je ne vais pas vous parler ici des tristes joies de l’égocentrisme
ou alimenter la légitimation de l’autocratie.
Non, en fait je parle (encore) d’agir sur les comportements… Il est tentant de
penser que la première condition pour peser sur des comportements est de comprendre
comment les gens voient leur comportement. En effet ce sont eux qui « se
comportent » d’une manière ou d’une autre, et si ça doit changer ce sont ces gens qui réaliseront effectivement le changement. Cette idée que comprendre
serait indispensable semble évidente et naturelle. Hélas il n’existe pas
de méthode parfaite, et écouter autrui conduit parfois à des ratés lamentables...
Car autrui peut raconter n’importe quoi, en particulier quand il s’agit de juger de soi (notamment à cause d’un phénomène qui s’appelle l’optimisme comparatif), les conséquences peuvent être graves, comme on peut l’illustrer avec l’épidémie d’obésité...
Car autrui peut raconter n’importe quoi, en particulier quand il s’agit de juger de soi (notamment à cause d’un phénomène qui s’appelle l’optimisme comparatif), les conséquences peuvent être graves, comme on peut l’illustrer avec l’épidémie d’obésité...
Notez bien que je ne me
désolidarise pas de ces gens qui pensent qu’il faut d’abord comprendre, je suis
le premier à conseiller de commencer par comprendre le comportement du point de
vue des personnes qui le réalisent. Il se trouve que c’est un excellent point
de départ, en revanche, il ne faut pas croire qu’on peut se contenter de ce
premier pas. Relier les représentations aux actes n’est pas si simple, a minima
car il n’est pas toujours facile de partager un point de vue. En se contentant d’écouter
les gens, on prend même parfois le risque de tomber complètement à côté du
problème et de mettre en place des
actions absolument inefficaces...
Je sais, le parallèle est un poil
outré. On peut douter aussi bien de la bonne volonté du Général que de sa
compréhension. Pour les trop jeunes, une analyse de ce grand moment de
communication, ici.
J’ai récemment entendu parler d’un exemple frappant de ce type de problème, au sujet de l’obésité, et je trouve que ça illustre bien ce phénomène psychosocial. L'optimisme comparatif, pour simplifier, est un biais
cognitif qui tend à nous faire percevoir qu’on aurait tendance à être plus
chanceux que les autres, par exemple confrontés à la statistique objective
qu’un mariage sur deux échouent, la plupart des gens jugent que leur propre
mariage, lui, à de très fortes chances de bien marcher (« même ceux qui en
sont à leur troisième mariage d’ailleurs », comme le dit Olivier Sibony).
L’optimisme comparatif
Ce phénomène s’observe
classiquement en demandant d’abord de juger d’une statistique moyenne puis de
situer leur cas personnel, par exemple on demande à des personnes de juger de
la probabilité moyenne de déclencher un cancer, et ensuite, quel est le risque
pour eux personnellement. Bien sûr les gens peuvent être un peu objectifs selon
leur mode de vie, mais en moyenne on voit bien que la majorité croit que le
risque est plus faible pour soi que pour la moyenne. Une manière rigolote de le
dire se voit aussi dans le jugement sur la qualité de notre conduite, quand on
demande aux gens s’ils sont dans les 50 % de meilleurs conducteurs, 70 à 80%
des personnes interrogées répondent oui… On sait aussi, via des études sur le
sexisme, que là où un groupe d’étudiantes jugent que 80 % des femmes font
probablement plus de tâches domestiques que leur conjoint, pour elle le risque
que cela arrive est inférieur à 50%. Dans la même veine, on sait qu’on juge
toujours avoir plus d’activité physique que l’on en a réellement, ou que l’on
se reconnait plus vite sur des photos retouchées positivement que sur des
photos naturelles. Une présentation plus détaillée, avec aussi des éléments sur
la méthode d’observation, est visible là.
En tous cas, l’optimisme, c’est super !
En général la question que se pose tout le monde est de savoir si l’optimisme
est bénéficiaire ou non, je vous passe les détails, ça dépend, et il y a de gros
inconvénients mais globalement c’est mieux, on voit notamment que les
optimistes vivent en moyenne plusieurs années de plus que les pessimistes !
Dans les inconvénients de
l’optimisme il faut compter ses conséquences indirectes, et pour un groupe les
conséquences sont démultipliées. L’épidémie d’obésité, du fait du nombre de personnes concernées
justement, menace d’induire des effets délétères supplémentaires. Je ne
développe pas sur la problématique, mais juste pour situer, quelques chiffres de
2014 peuvent être trouvés ici (avec quelques surprises, du moins pour moi qui ne
connaissait pas le sujet).
Le lien avec l’optimisme, c’est que cela induit des
phénomènes culturels. Une amie Néo-zélandaise m’a raconté qu’en Australie et au
Royaume-Uni, qui ont un assez fort taux de prévalence de l’obésité, les
médecins subissent le problème d’avoir des études épidémiologiques dans lesquelles les gens en surpoids ou obèses ont tendance à rapporter qu’ils sont
plutôt actifs (ils se voient d'ailleurs comme plus actifs que la moyenne) et ne se
nourrissent pas trop mal (et probablement mieux que la moyenne à leur avis). Comme il est
très difficile d’avoir une vision objective de l’activité physique d’un
individu et de son alimentation et que le problème de l’obésité est
multi-factoriel, cette situation contribue à survaloriser l’hypothèse qu’il
s’agit d’un désordre physiologique et non la conséquence d’un mode de vie (un
problème comportemental).
Précision concernant la stigmatisation du surpoids
Même si ce post donne l’impression
de contribuer à stigmatiser les personnes en surpoids, je tient à préciser
clairement que je les vois plus comme des victimes que comme des coupables. Le
productivisme à tout crin, la doctrine consumériste et la recherche permanente
du bénéfice financier immédiat au détriment d’un bénéfice fonctionnel durable,
avec incidemment la puissance du lobby agro-alimentaire (vous savez qu’ils ont
réussi à faire classer la pizza comme un « légume » aux USA ?)
sont probablement bien plus en cause que le libre-arbitre individuel et sa
piètre efficacité à se traduire en acte (on peut s’améliorer cela dit, j’en ai
déjà parlé ici),
mais ce n’est pas le sujet, je pourrais d’ailleurs vous parler une autre fois
de pourquoi on a tendance spontanément à stigmatiser les victimes plutôt qu’à
faire le moindre effort pour comprendre leur parcours.
En outre, je précise qu’il ne s’agit
pas ici juste de respecter un canon esthétique vain et discutable, le surpoids,
tout comme le sous-poids d’ailleurs, sont des facteurs objectivement dangereux
pour la survie des individus :
« Alors que le
risque de mourir avant 70 ans est de 19% pour les hommes et de 11% pour les
femmes ayant un IMC normal, il grimpe à 29,5% pour les hommes et 14,6% pour les
femmes modérément obèses (IMC de 30 à 34,9) », les détails, là.
Les biais individuels ont des conséquences collectives
Mais revenons à nos anglo-saxons. On m’a rapporté que dans ces pays il arrive que l’on rencontre des gens
tellement habitués à l’obésité générale qu’ils voient les personnes minces comme un peu « anormales », des gens dotés d’un organisme un
peu exceptionnel (comme les gens très grands ou très petits). Ils sont même
parfois tentés de soupçonner à ces maigrichons un problème de santé ! Il
semblerait d’ailleurs que certains parents en fort surpoids et entourés de gens
en surpoids soient tentés de demander à leur médecin pourquoi leur bébé est si
maigre, inquiets qu’ils sont (en bons parents) de sa santé… Là je pense qu’on
peut parler de représentations sociales, dans ce qu’elles ont de spécifique à
un groupe (j’ai prévu un billet à ce sujet pour bientôt).
Cette idée d’évolution de ce
qu’on pourrait appeler la « norme pondérale » me fait penser qu’on
doit pouvoir craindre une aggravation des conséquences négatives de ce phénomène
social. Au vu des choix agro-industriels et sociétaux qui sont faits, l’épidémie
va continuer à empirer et la sensation de corps « normal » devrait donc
se décaler vers des corps plus gros. A votre avis, combien de temps et quel
pourcentage d’obèses dans la population faut-il pour qu’on commence à
considérer que ce sont les minces qui sont hors-norme ?
On peut même supposer qu’il ne faudra guère de temps pour que certains « thérapeutes » se mettent à proposer (de bonne foi !), des sortes de « traitements » pour que ces « exclus » puissent interagir sainement et normalement avec les autres sans avoir à subir leur terrible et infortunée maigreur… Pour conclure, si un jour on vous vante les bienfaits pour la santé des tout-petits de la mono-diète de pizza double fromage ce ne sera peut-être même pas de la provocation, mais une forme compliquée de construction sociale !
On peut même supposer qu’il ne faudra guère de temps pour que certains « thérapeutes » se mettent à proposer (de bonne foi !), des sortes de « traitements » pour que ces « exclus » puissent interagir sainement et normalement avec les autres sans avoir à subir leur terrible et infortunée maigreur… Pour conclure, si un jour on vous vante les bienfaits pour la santé des tout-petits de la mono-diète de pizza double fromage ce ne sera peut-être même pas de la provocation, mais une forme compliquée de construction sociale !
Je n’ai pas d’élément empiriques
objectifs pour étayer ce que l’on m’a dit sur ces cas anglo-saxons, mais un
article du Guardian, ici, souligne certains points congruents. Une
étude médicale, là, documente par ailleurs un effet intéressant dans notre contexte : « l’obésité se propage par les liens sociaux » !
Bon allez, un bon burger pour la
route…
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